10 septembre 2001

Lettre au Président de la République

Monsieur le Président,

Depuis que je suis revenu de mes vacances annuelles en France, où j’ai pu constater “de visu” que la situation ne s’est pas améliorée, je me suis dit qu’il fallait que je vous écrive. J’aime la France. C’est vraiment le plus beau pays du monde. Je songe à y revenir d’ici un an, soit peu de temps après les élections… à moins que celles-ci ne marquent l’enterrement définitif de tout espoir de redressement national.

A propos d’espoir, je me souviens avec émotion de 1995. Et je pense aussitôt aux déceptions très vite accumulées. En 6 ans, vous avez fait, ou laissé faire, plus ou moins le contraire de ce que vous nous aviez dit vouloir faire avant votre élection. Le bilan de votre septennat n’est pas fameux, à tout point de vue.

A entendre les commentaires récents, beaucoup dans votre famille politique semblent penser que c’est gagné, que ceux qui vous ont élu en 1995 voteront encore pour vous en 2002. Non pas, comme le suggère Thierry Desjardins, parce qu’ils vous aiment bien mais parce qu’ils ne veulent plus de Jospin, le trotskiste triste et sectaire, et des socialo-communistes, dont ils croyaient s’être débarrassés pour de bon en 1995 (en 1997, les Français n’avaient pas changé d’avis au sujet des socialo-communistes, ils ont simplement manifesté leur mécontentement par rapport à la politique de Juppé). Voire… Si j’étais vous, je ne me laisserais pas influencer par l'optimisme soudainement ressuscité de mes troupes et je réfléchirais très sérieusement à la façon d’aborder les Français pour cette élection, car l’exercice, à mon sens, est particulièrement difficile.

En effet, pourquoi devrions-nous vous faire de nouveau confiance ? Quel bilan ferez-vous devant nous de votre premier septennat, dans sa globalité, et de la politique menée par le gouvernement Juppé, en particulier ? Mais surtout, quelles garanties allez-vous nous donner que vous mènerez enfin, si nous vous élisons de nouveau, une politique déterminée de libération de l’économie, de réforme et de désengagement de l’Etat, pour sortir résolument la France du bourbier de l’immobilisme collectiviste et étatique ?

Sur un autre plan, comment dissiperez-vous une bonne fois pour toutes les doutes que les “affaires” ont générés dans l’esprit des Français concernant votre honnêteté et votre probité ? Ne balayez pas ce problème sous prétexte que Mitterrand a réussi à se faire réélire… Vous savez qu’en 20 ans, les affaires ont eu pour effet de susciter chez les Français un rejet général des politiques, qualifiés unanimement de “tous pourris”. La contrepartie plutôt récente de ce rejet, comme l’ont illustré les dernières municipales, c’est le besoin de renouvellement, l’espoir de voir se lever une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques, honnêtes à la limite de l’héroïsme, motivés par le sens du service de leurs concitoyens et non par l’appât du gain ou du pouvoir.

Voilà à mon sens quelles sont les données de votre “problème” pour 2002. Pour résumer, il vous faudra convaincre votre électorat de 1995 que vous êtes un honnête homme et que vous ferez entre 2002 et 2007 ce que vous n’avez pas pu ou su faire entre 1995 et 2002.

Ne croyez pas ceux qui vous diraient que les Français sont des veaux à qui votre talent suffira à faire avaler que les échecs du septennat actuel n’en sont pas vraiment. Trop c’est trop. Craignez, au contraire, qu’un nombre important d’électeurs de droite, à force qu’on les prennent pour des c…, agissent comme tels ! Le Pen n’a-t-il pas réussi à drainer jusqu'à 15% de votes essentiellement contestataires, malgré certains aspects peu plaisants de son discours ? Le risque pour vous en 2002 ce n’est pas Le Pen bien entendu, mais l’abstention et le dispersement des votes de droite au premier tour, sur de très nombreux candidats (Chevènement, Bayrou, Madelin, Pasqua, Villiers, Boutin, Le Pen, etc.), représentatifs d’une possibilité de renouvellement et, clairement, d’une alternative à Chirac.

Vos conseillers ont sûrement tout calculé et vous êtes sans doute convaincu d’arriver en tête de la droite au premier tour. Vous pensez certainement qu’au second tour, vous ne ferez qu’une bouchée de Jospin. Il est douteux à mon sens que vous franchissiez ces deux étapes en faisant l’économie d’un effort d’explication et de conviction, sur le passé comme sur l’avenir. Votre talent n’y suffira pas.

Bien qu’il soit un peu prétentieux de ma part de vouloir vous donner des conseils, permettez-moi de vous suggérer le déroulement suivant :

1) Préparez très sérieusement le plan d’action de votre(vos) gouvernement(s) pour la durée du quinquennat. Sur le plan économique et budgétaire en particulier, ne laissez rien au hasard. Etablissez un calendrier précis des réformes, en contrebalançant urgence, importance et faisabilité budgétaire. La liste des questions auxquelles ce “programme” devra apporter des réponses concrètes est longue :
  • Comment réduire drastiquement la pression fiscale tout en réduisant le déficit budgétaire et la dette publique ?
  • Comment faire passer le nombre de fonctionnaires de 25% à 10% de la population active sans bloquer le pays et créer des armées de chômeurs ?
  • Comment inciter les entreprises, françaises et étrangères, à s’installer de nouveau en France ?
  • Comment redonner l’envie aux Français de travailler et d’investir ?
  • Comment soutenir efficacement la création d’entreprises ?
  • Comment réformer notre système de retraite, la Sécurité Sociale ?
  • Comment relancer la démographie ?
  • Comment faire en sorte que notre système éducatif donne à chacun de nos enfants les moyens de développer leur potentiel propre, au lieu de pratiquer le nivellement par le bas et l’endoctrinement socialiste ?
  • Comment assurer le respect de la vie à tous ses stades, développer la solidarité envers les personnes âgées, les malades et les handicapés ?
  • Comment accroître le rôle des régions et leur donner les moyens de leur responsabilités accrues ?
  • Comment sauver notre agriculture et repeupler nos campagnes ?
  • Comment assurer l’autorité de l’Etat dans les zones de non-droits et en Corse ?
  • Comment réconcilier les Français et l’Etat et faire entrer ce dernier dans le 21ème siècle (Internet etc.) ?
  • Comment restaurer la confiance envers les hommes politiques ?
  • Etc.

2) Choisissez dès maintenant l’équipe qui mènera cette politique, et faites les bosser. Epargnez-nous surtout les têtes déjà vues, les dinosaures du RPR, de DL ou de l’UDF, qui ont tous, peu ou prou, mené une politique de gauche. Pour satisfaire le besoin de renouvellement des Français, choisissez votre futur Premier Ministre dans la société civile. Pourquoi pas Serge Dassault ? Son livre programme tient la route, c’est un gestionnaire expérimenté. Il y en a d’autres.

3) Assurez-vous que les leaders des différents mouvements de droite aient compris votre projet et l’approuvent dans les grandes lignes, avant de le présenter aux Français. Peut être certains d’entre eux (comme Madelin, Pasqua, Villiers) renonceront-ils ainsi à faire campagne contre vous ?

4) Le moment venu, expliquez votre programme en détails aux Français et présentez leur votre future équipe. Prenez soin de faire ressortir les différences entre ce programme et la politique menée par le gouvernement Juppé entre 1995 et 1997, sans occulter les erreurs d’analyse ou de stratégie que vous auriez pu commettre à l’époque. Ne faites aucune promesse inconsidérée, tout en montrant le bout du tunnel et en expliquant votre stratégie pour l’atteindre à “ la France qui gagne ” et qui a envie de gagner.

5) Adoptez une attitude de franchise absolue sur les affaires dans lesquelles vous avez été impliqué, à tort ou à raison et de près ou de loin. Sans aller jusqu'à la “repentance” (terme inventé par l’intelligentsia gauchiste moralisante, qui a soutenu le marxisme mais ne regrette toujours rien…), dites la vérité, même si cela implique d’avouer des torts jusqu’alors non reconnus, datant de l’époque où vous étiez Maire de Paris et Président du RPR. Dans la mesure où les faits le justifient, un “mea culpa” bien pesé vous fera remonter dans l’estime de beaucoup de Français. Profitez-en bien sûr pour souligner les mesures que vous prendrez après votre réélection pour clarifier les zones d’ombres éventuelles et éviter que certaines situations ne se reproduisent.

Voilà Monsieur le Président. Accueillez s’il vous plait avec bienveillance cette missive un peu longue, légèrement prétentieuse et sûrement un peu naïve, d’un Français qui a envie de croire que tout n’est pas foutu dans son pays. Je n’ai ni votre expérience ni votre connaissance approfondie des dossiers évoqués dans la deuxième partie de mon courrier. J’espère néanmoins vous avoir éclairé sur l’état d’esprit d’un grand nombre de nos compatriotes par rapport à l’élection présidentielle de 2002, et par rapport à votre candidature en particulier. Si ce message arrive jusqu'à vous, je souhaite qu’il vous donne matière à réfléchir.

Il faut absolument faire en 2002 la révolution avortée de 1995. Vous avez su cristalliser les énergies autour de ce défi national, il y a 6 ans. Saurez-vous nous convaincre que vous êtes à même de mener ce projet à bien ? Je le souhaite.

Respectueusement,

Stéphane de Saint Albin
(36 ans, marié et père de 4 enfants, aux USA depuis 1999)