15 mars 2003

Irak : le bal des hypocrytes

Tout a été dit ou presque sur l’Irak. Le débat onusien se radicalisant, on nous presse de choisir un camp, de dire s’il on est favorable à une intervention militaire, ou si l’on s’oppose a tout prix à une nouvelle guerre du golfe. Les medias se déchaînent de part et d’autre de l’Atlantique, avec leur manque de finesse et leurs simplifications habituelles. Il est difficile de trancher sans avoir l’impression d’être manipulé et de tomber dans le panneau des uns ou des autres.

Pour ceux qui ont encore le moindre doute, l'Amérique va envahir l'Irak. Ses détracteurs prêtent à Bush des motivations diverses, comme de vouloir mettre la main sur le pétrole irakien ou encore d’avoir juré « finir le travail commencé par Papa » et d’entendre relancer l’industrie américaine de l’armement, qui aurait besoin de nouvelles commandes après les bombardements massifs de l’an dernier sur l’Afghanistan. Tout ceci est sans doute vrai, si l'on prête foi aux informations liant la famille Bush a certaines sociétés influentes au sein du système militaro-industriel américain.

Quoi qu'il en soit, la raison officielle est la sécurité des Etats-Unis. Apres le 11 septembre, il semble que les Américains aient pris la mesure du rôle primordial que joue l'Arabie Saoudite dans le financement du terrorisme islamiste mondiale ainsi que dans le recrutement et la formation des kamikazes islamistes. Le fait que l'essentiel de leurs approvisionnements en pétrole provienne de ce pays ne permet pas aux américains de peser efficacement sur le régime saoudien. Une fois le pétrole irakien sous contrôle US, Washington sera en mesure de changer de politique vis-à-vis de Ryad.

L'Irak représente en soi un risque relativement mineur en terme de sécurité (moindre en tout cas que la Corée du Nord, l'Afghanistan, voire le Pakistan), même si la possibilité existe que Saddam fourgue ses armes biologiques ou bactériologiques a un fou d’Allah manipulé par Ben Laden. Malgré les déclarations de M. de Villepin, il est de notoriété publique que Saddam finance et soutient de nombreux mouvements terroristes islamistes, dont le Hamas palestinien.

En débarrassant les autres dirigeants arabes de Saddam Hussein, un voisin ambitieux et brutal, les américains espèrent augmenter leur influence dans cette région du monde. Ils espèrent peser sur une résolution négociée du conflit palestino-israélien. Ils pensent qu’un déploiement massif de forces obligera les autres dictateurs de la région à adopter un profil plus « démocratique ».

Bush entrera donc a Bagdad. J'espère qu'il ne le fera sans avoir reçu l’assentiment des Nations Unies mais la probabilité diminue de jour en jour. Il y a encore quelques jours, je prédisais une « Gulf War II, le retour » entre Avril et Mai, une fois que les membres du conseil de sécurité, France en tête, auront fini de négocier avec Washington leurs rôles respectifs dans l’Irak « libérée ». Officiellement, le conseil de sécurité en arrivera à la conclusion, après cinq a six mois d’efforts répétés de MM Blix et El Baradei, que Saddam n’a pas détruit ses armes de destruction massive. Tout le monde sait très bien qu’il n’a jamais eu l’intention de le faire, bien entendu.

Pour éviter l’invasion, Saddam a le choix entre l’exil volontaire et la publication des preuves qu’il a détruit les armes de destruction massive qui étaient encore en sa possession il y a 5 ans. Il ne choisira pas la transparence, car il n’a très pas détruit ces armes. Avouer serait perdre la face. S’il choisit l’exil, les troupes qui entreront dans Bagdad porteront peut être des casques bleus, fraîchement ajoutés au paquetage des soldats américains, britanniques et… français !

L’argument a été servi de part et d’autre que le contrôle du pétrole irakien est le vrai enjeu et le vrai motif de désaccord entre les Etats-Unis et la France. Nous avons déjà évoqué le rôle du pétrole dans les motivations américaines. Quid des motivations françaises ?

Depuis la première guerre du golfe, la France serait devenue l’un des principaux fournisseurs de l’Irak, représentant 20% de ses importations limitées par les sanctions économiques. De plus, la rumeur circule qu’Elf-Total-Fina a négocié un nouvel accord exceptionnel avec le dictateur de Bagdad. Que les efforts diplomatiques français pour ralentir l’impétuosité américaine soient influencés par de telles considérations ne serait pas surprenant : ce ne serait pas la première fois qu’intérêts politiques et économiques s’entremêlent dans la définition des objectifs de la diplomatie française, en particulier au Moyen-Orient (Liban, vous avez dit Liban ?).

Ce que je trouve troublant dans ce jeu d’hypocrites, c’est que la France, arguant de raisons humanitaires, soutient de fait le maintien d’une dictature et de sanctions économiques qui ont fait plus de dégâts dans ce pays que la guerre de quelques semaines menée il y a 12 ans ou que celle que les américains semblent impatients de lancer. Très à l’aise dans son rôle de pourfendeur des tyrannies en tous genres et de défenseur universel des Droits de l’Homme, la France a quand même une fâcheuse tendance à favoriser la stabilité aux dépens de la « justice » dans les affaires internationales. Combien de dictateurs du continent africain furent et sont les amis personnels de Mr Chirac, après avoir été ceux de MM Mitterrand et Giscard ?

Cela dit, la France tient son rôle depuis quelques mois en tempérant à l'ONU les impatiences américaines. Il faut cependant qu'elle le fasse de manière intelligente et pour les bonnes raisons.

S’opposer au projet des américains en Irak sous prétexte qu’ils sont nos concurrents économiques (en Irak ou d’une manière générale) n’est pas à mon sens une bonne raison. Vouloir redorer le blason de la France en devenant le symbole de la résistance systématique et quelque peu vaine à l’hégémonie américaine me semble un mauvais calcul. Mieux vaudrait convaincre par l’action, en redevenant rapidement une puissance économique et militaire de premier rang. Vu d’ici, la position française a quelque chose de pathétiquement irréaliste, de totalement utopique.

Il me semble que la seule bonne façon de s’opposer aux projets américains est de le faire en lien étroit avec eux, en vue du désarmement de l’Irak. C’est l’idée du « good cop, bad cop », comme dans les films policiers. Malheureusement, on a du mal à voir dans le débat récent entre les Etats-Unis et la « veille Europe » le travail de quelques excellents acteurs et la puissance d’une bonne mise en scène. Les coups vols trop bas depuis Janvier.

Tout le monde sait que les discussions importantes n’ont pas lieu en séance publique du conseil de sécurité, devant les cameras de télévision. Espérons que Chirac et Villepin sauront convaincre Bush et Powell que, loin de tout anti-américanisme primaire, la France agit pour le bien de la cause commune, c'est-à-dire en vue :

1. d'obtenir que l'Irak soit effectivement désarmée, le peuple irakien libéré de la dictature de Saddam (et du diktat économique imposé par la France et les US via l’ONU),
2. d’empêcher le terrorisme islamiste international de nuire à nos intérêts, en combattant activement les états/nations qui le supportent,
3. de protéger le monde contre les menaces qui découleraient immanquablement de la mise en application de la doctrine de la « guerre préventive », surtout si celle-ci est déclarée en dehors du droit international, aussi imparfait soit il.

Faire entendre raison aux américains sur ce dernier point sera clairement un pari difficile. Car il y a un fossé culturel grandissant entre les Etats-Unis et l’Europe.

J’admire quotidiennement le pragmatisme et le réalisme des américains, leur capacité a analyser une situation (y compris un échec passé), a définir une stratégie, a prendre les décisions qui en découlent et a les appliquer sans retard et sans arrière-pensée. Dommage que ces qualités s’accompagnent d’un manque total de finesse et de « psychologie géopolitique » : peu nombreux sont les responsables américains qui se soucient de l’impact de la politique US sur les peuples étrangers, que ce soit concrètement ou en terme culturels.

Aux yeux des américains, le déficit d’efficacité et l’impuissance chronique dont nous souffrons en Europe disqualifient totalement les leçons de sagesse que nous voulons leur donner (y compris quand ils n’ont rien demandé). Cette différence « culturelle » est d’ailleurs l’un des arguments les plus férocement justes qu’ils utilisent dans le débat actuel : l’Amérique agit, les Nations Unis, la France et la veille Europe parlent et s'écoutent parler.

Il y a peu d'espoir que Bush change d'avis, même si l'opposition a la guerre en Irak et à l'actuelle politique extérieure américaine semble grandir aux Etats-Unis. Il me semble que l'argument primordial sur lequel il faudrait miser est celui de la responsabilité morale qu'ont les Etats-Unis envers le reste du monde. S’ils appliquent leur doctrine de « frappes préventives », les US risquent de créer un monstre qui se retournera à la première occasion contre les Etats-Unis et leurs alliés, comme le montre d'ailleurs l’exemple récent de la Corée du Nord.

Le salut pourrait-il venir de l’Angleterre ? Il faudrait réussir a convaincre Tony Blair de revenir sur sa position. Non pas par la menace de mesures de rétorsion, comme celles proférées par Chirac contre les candidats a l'Union (quel scandale et quelle honte !). Espérons que la pression de la rue et celle qu'il subit au sein de son propre parti politique incitera Tony à prendre du recul. Il faudrait que les anglais réalisent que dans son principe même, la guerre préventive n’est pas moralement justifiable. Avec l’invasion du Koweit en 1991, l’intervention armée s’imposait clairement. En 2003, les choses sont loin d'être si simples.

La première question est de savoir si déposer Saddam Hussein est un objectif moralement acceptable. Il me semble que la réponse est positive, dans la mesure où il (Saddam) s’oppose depuis de nombreuses années à de multiples décisions dûment entérinées par le seul corps constitué qui ait un tant soit peu de légitimité dans ce domaine, les Nations Unies. Il n'est pas le seul dans ce cas mais il pousse carrément le bouchon.

La deuxième question est celle des moyens à utiliser. Il me semble qu'un tapis de bombes et 300,000 soldats sont une réponse disproportionnée par rapport aux risques encourus. N’est-il pas possible d’atteindre le même objectif sans envahir et prendre le contrôle du pays ? J’ai du mal à croire que la CIA, avec les moyens dont elle dispose, ne soit pas en mesure de « libérer » le peuple irakien du tyran et d’installer un régime plus « amical », voire démocratique, si c’est vraiment l’objectif des américains. Quelques "assassins" ou escouades de leurs forces spéciales devraient suffire. Et peu importe s'il faut au passage sacrifier quelques « doubles » du dictateur.

Je souhaite que la France continue à tenir tête aux US sur les principes moraux et légaux, mais sans animosité excessive et en sachant, le moment venu, choisir le bon camp, celui du réalisme face aux dangers qui nous guettent. Au lieu de brandir la menace du veto, j’aimerais savoir ce que font Chirac et Villepin pour aider les amerloques à sortir de leur logique de guerre préventive.

Le courage dont fait preuve la France dans son opposition actuelle aux projets américains sur l'Irak ne doit pas occulter les vrais problèmes et la nécessite d'agir courageusement pour défendre notre pays des dangers qui le menace. Au lieu de nier le conflit d'intérêt fondamental qui existe entre l'occident chrétien et les pays sous-développés sous influence islamiste (voir la dépêche de Reuters), le bon sens consisterait a prendre des mesures immédiates pour stopper l’immigration en vue du long terme, pour « assimiler » les immigres légaux et rétablir la sécurité dans nos banlieues, ou les fidèles de Ben Laden préparent sans doute le prochain 11 septembre. Assez de paroles courageuses, passons aux actes Monsieur le Président !

Enfin, ne nous trompons pas d'adversaires. Certes, les Américains sont nos pires concurrents sur le plan économique. Certes, ils tentent d’empêcher la construction d’une Europe unie, puissante et efficace. Mais nous sommes clairement dans le même camp sur le plan de la sécurité internationale, aujourd’hui comme hier. Les Anglais, pragmatiques, l'ont compris. Il ne faudrait pas que les Français, aveuglés par un certain idéalisme angélique teinté d'anti-américanisme s'enferment dans une opposition systématique et stérile qui disqualifie encore plus notre pays dans le concert économique et politique mondial.

Stéphane