9 juillet 2007

Lettre ouverte à Xavier Darcos (3/3)

3. Carte scolaire et autonomie des établissements


La Californie impose la carte scolaire mais de façon souple. A l’image peut-être ce qui est en train d’être ré imaginé en France.

La scolarisation reste un pari pour les enfants vivant dans les quartiers pauvres parce que l’atmosphère à l’école et à la maison n’est pas propice au travail. Ceux qui s’en sortent sont ceux dont la mère travaille dans un beau quartier et utilise l’adresse de ses employeurs pour inscrire ses enfants dans une bonne école publique. Toutes les nourrices et les femmes de ménages sont issues des quartiers modestes, elles viennent travailler dans les beaux quartiers où les écoles publiques sont paisibles et d’un bon niveau. Les directeurs ferment les yeux sur ce type de dérogation. Après tout c’est de la politique sociale à moindre coût. Et le résultat est que ces enfants-là sortent de l’école avec les mêmes atouts que les petits américains.

L’autre façon d’encourager cette mixité sociale est d’organiser des cars qui amènent des enfants des quartiers défavorisés dans les écoles des beaux quartiers, et qui les ramènent le soir. J’ignore si c’est à la discrétion du directeur ou par décision de l’Education d’Etat. Dans certains quartiers où les écoles publiques sont désaffectées au détriment des écoles privées, on arrive même au paradoxe de voir se détériorer l’atmosphère d’écoles publiques de bons quartiers du fait de l’apport trop massif d’élèves de quartiers sensibles. Dans l’école de nos enfants, c’était un seul car qui allait et venait chaque jour. Il y a aussi la possibilité de remplir chaque année un formulaire nommé « Choice », le faire permet de cumuler des points, qui permettent de choisir dans un panel plus large d’établissements que le seul attribué à votre district scolaire.

Les établissements sont notés sur leur réussite. Chaque année au mois de mai et à partir du CE2, les élèves passent des tests (STAR, CAT6) qui permettent d’évaluer leur niveau. Ces tests sont identiques pour tous les élèves de Californie. A l’issue de ces tests, les écoles sont notées en fonction du résultat de leurs élèves. Elles obtiennent un score nommé API. Ces scores sont publiés, les parents peuvent donc en tirer des conclusions pour le choix de l’établissement. Mais surtout, les écoles reçoivent des financements en fonction de leurs résultats. Le danger, comme toujours, est d’avoir des établissements à la traîne qui ne reçoivent pas de financement alors qu’ils en auraient besoin, mais le résultat le plus visible est une stimulation du corps enseignant à faire réussir ses élèves. L’enseignement aux Etats-Unis, mal classé au niveau mondial il y a quelques années, a fait d’énormes progrès. C’est peut-être lié.


Conclusion

Tout système scolaire s’enrichit à connaître ce qui se passe dans les autres pays, c’était l’idée de ces quelques pages de vous présenter des points intéressants de l’éducation scolaire en Californie.

Le système scolaire français reste selon moi l’un des meilleurs du monde. S’il ne remplit plus sa fonction d’ascenseur social c’est peut-être que le problème réside dans l’image qu’en ont les français. Voici quelques modestes suggestions :

Il faudrait lancer une grande campagne de publicité pour l’école, par voie d’affichage, par spots télévisés, et à la radio. Il faudrait toucher les enfants par des slogans comme « l’école est ta chance » et des témoignages comme on en présente à la télévision autour du sport. A l’heure du sport, on voit des sportifs, héros de nos enfants, vanter les vertus de l’effort et de la loyauté dans le sport. On pourrait faire intervenir d’autres personnalités marquantes qui témoigneraient de leur passion et de leur reconnaissance pour l’école.

Il faudrait aussi toucher les parents, pour leur faire réaliser que le succès de leurs enfants tient à leur persévérance de parents ; en envoyant leurs enfants à l’école, en surveillant leur travail scolaire et en tirant la sonnette d’alarme auprès des professeurs quand leur enfant ne suit plus pour demander du soutien scolaire. Le travail à la maison est conçu comme de la révision de ce qui a été étudié en classe, cela signifie que même un parent sans éducation scolaire poussée peut inciter son enfant à la réussite.

Malheureusement, dans les milieux simples, l’école est souvent dénigrée. Comment l’enfant peut-il voir alors qu’elle lui offre au bout du chemin la réussite sociale ? Il faudrait revaloriser l’école aux yeux des enfants et des parents.

L’autre façon de créer de l’enthousiasme est de rapprocher le monde de l’entreprise et l’école. Si les enfants croisent plus souvent des adultes passionnés, ils feront plus facilement la relation entre l’utilité de se former et la joie de pouvoir réaliser des rêves professionnels. Ils pourront partager avec leurs petits camarades américains le sentiment que tout est possible et qu’une place au soleil les attend s’ils s’en donnent les moyens.

Pourquoi ne pas encourager l’initiative privée des parents d’élèves qui pourraient lever de fonds pour financer des activités ou de l’équipement.

Mettre les établissements en concurrence de résultats, avec à la clé l’octroi de financement par exemple.

Lette ouverte à Xavier Darcos (2/3)

2. Pas d’école unique, à chacun son rythme

La scolarisation américaine débute à 5 ans en « Kindergarten », équivalent de notre grande section de maternelle. La classe fonctionne en ateliers tout comme les classes de maternelle en France. L’un des ateliers regroupe les enfants ne maîtrisant pas la langue pour que la maîtresse puisse adapter son enseignement. Les années suivantes ils sont dispersés parmi leurs camarades mais restent suivis jusqu’à ce qu’ils rattrapent leur retard. Ils peuvent suivre des cours de soutien en langue anglaise. Leur bulletin scolaire porte un code « enfants anglais seconde langue » avec un score évolutif qui mesure leur stade de rattrapage de la langue. Ce code disparaît du bulletin lorsque les enseignants estiment que l’enfant est au même niveau que ses camarades.

A l’entrée en 3rd Grade (CE2), les enfants fonctionnant rapidement peuvent suivre un test qui mesure leurs aptitudes. Ceux qui réussissent à plus de 95% sont alors appelés « gifted ». C’est noté dans leur dossier scolaire pour le reste de leur scolarité et cela leur donne droit d’intégrer la classe réservée aux enfants qui fonctionnent vite.

Venant de France, cette notion de sélection est dérangeante. Pourtant les enfants qui peinent sous un rythme trop soutenu se découragent, et les enfants rapides qui doivent subir la répétition de principes qui leur paraissent évidents se désintéressent de l’enseignement. D’où le choix de partager les enfants par niveau. Une classe pour les enfants en difficultés qui ont besoin qu’on répète les fondamentaux, et qui en fin d’année auront peut-être couvert un programme plus restreint mais qui seront armés pour passer dans la classe suivante, des classes pour les enfants sans problèmes qui suivent le programme classique, et une classe pour les enfants précoces qui ont soif d’apprentissage et qui allant plus vite sur les fondamentaux peuvent s’aventurer sur des sujets annexes de culture générale. Ces enfants sont contactés par des universités qui leurs proposent des stages d’été où ils pourront épancher leur soif de connaissances sur des sujets scientifiques, mathématiques ou artistiques. Ce qui est intéressant à noter c’est que ce pays considère ces enfants précoces comme une richesse à long terme et qu’il tient à les repérer dès le plus jeune âge pour favoriser leur réussite future. Réussite qui ne pourra que servir le pays plus tard. Les enfants précoces sont un vivier pour le pays.

Les enfants handicapés ont leur place aussi. L’école publique leur ouvre ses portes une année avant leurs camarades. Ils ont une année d’adaptation à 4 ans. Puis chaque enfant qui nécessite un accompagnement est pris en charge par un tuteur qui le suit tout le primaire. Il y a en général un enfant par classe. Le tuteur est une aide précieuse pour le professeur qui peut alors gérer un groupe d’enfants homogènes plus un enfant dont les capacités sont en décalage, il devient aussi par sa seule présence un soutien pour le professeur pour mener le groupe tout entier.

Lettre ouverte à Xavier Darcos (1/3)

Je publie ici la lettre qu'a adressé mon épouse, Laurence, au nouveau Ministre de l'Education Nationale, Xavier Darcos. Celui-ci a poliment accusé réception, l'assurant que son témoignage nourrirait sa réflexion. J'ai fini par convaincre ma moitié que sa contribution, quoi qu'un peu longue, pourrait intéresser un plus grand nombre de nos concitoyens, que la très nécessaire rénovation de l'école française passionne tout autant qu'elle. Voici donc la lettre, en trois parties, une pour chacun des thèmes suivants:
  • Patriotisme, intégration et enthousiasme
  • Pas d’école unique, à chacun son rythme
  • Carte scolaire et autonomie des établissements


1. Patriotisme, intégration et enthousiasme

La Californie est terre d’immigration. Cela se retrouve de façon frappante dans les écoles. Les enfants sont issus de tous les pays du monde, ils sont en général nés de parents ayant immigré et qui ont choisi d’avoir leurs enfants aux Etats-Unis, pour leur faire le cadeau de cette nationalité. Les parents ont souvent un niveau d’anglais approximatif. En France nous vivons parfois difficilement ces différences d’origine. Là-bas elles sont vécues comme des richesses et peut-être pour la raison suivante : les gens qui émigrent et leurs enfants sont fiers d’appartenir à un pays qui leur donne leur chance. Le système scolaire renforce ce sentiment en l’enseignant : tous les matins les enfants rendent allégeance au drapeau américain et à la république sur lequel il flotte. Ce qui peut paraître choquant de prime abord relève d’une grande intuition : on amène des enfants de toutes les couleurs et de cultures d’origine différentes à se référer à un même système de valeurs et à un pays qui les accueille. Le texte parle d’une nation qui se tient sous la protection de Dieu et qui recherche la justice et le pain pour tous.

Nous sommes revenus des Etats-Unis au moment où, en France, flambaient les banlieues. L’émigration en France est beaucoup plus douce qu’aux Etats-Unis, le système social français prend un plus grand soin de ceux qui arrivent, l’école est gratuite pour tous, et pourtant les enfants qui ont étudiés sur ses bancs et qui sont devenus adultes ne se sentent toujours pas partie de notre France et ils n’ont à son égard aucune reconnaissance. D’où vient ce clivage ?

Cela vient probablement du fait que nous-mêmes, français, nous ne sommes pas fiers de notre pays et que nous n’en professons pas le respect. Le sentiment de reconnaissance n’existe pas dans notre pays alors qu’il est si fort au Etats-Unis où pourtant les gens se battent seuls pour leur survie. L’école peut jouer là un rôle déterminant. Réciter la Marseillaise ou un texte qui exprime la reconnaissance de la grandeur de la France et de ses valeurs serait intéressant.

Il y a quelques années, les quartiers à forte dominance latine avaient le droit d’enseigner en espagnol. Une génération plus tard, on s’est rendu compte que les émigrés n’étaient toujours pas intégrés car ils ne parlaient toujours pas anglais, la langue de leur pays d’accueil. Et j’en ai rencontré qui souffraient de ne pouvoir travailler à leur compte faute de pouvoir s’exprimer. Les Etats-Unis ont donc rectifié le tir, l’enseignement est désormais totalement dispensé en anglais quel que soit le quartier.

Des cultures différentes et des religions variées mais des valeurs communes. Les Etats-Unis sont très respectueux de la culture et de la religion de chacun. Chaque fête de chaque religion est célébrée à l’école pendant l’année. Par contre un système de valeurs très clair est proposé aux élèves. Elles sont regroupées sous le titre « The seven pilars of characters ». On y prêche le respect de l’autre : il est interdit de se moquer du nom d’un camarade, de sa couleur et de sa religion bien sûr.

Le résultat se voit en cour de récréation où les élèves sont moins impitoyables entre eux que dans les cours en France.

Le résultat sur le long terme est la production de générations d’enfants qui ont le sens civique et qui partagent les valeurs morales qui font la force des Etats-Unis : chaque personne est un citoyen sur lequel repose le pays. Là-bas on attend pas que les choses changent d’en haut, on les change soi-même. L’américain se sent responsable de son quartier, il crée des associations et il se sent très concerné par leur financement, il est constamment en train de lever des fonds : « raise funds ». Même dans les écoles publiques, les associations de parents d’élèves sont très actives pour lever des fonds. Ces fonds servent ensuite à payer du matériel informatique, des cours de danse ou de dessin, à renouveler les équipements des cours de récréation, etc. Un rapport annuel informe les parents des options retenues.

Enthousiasme enfin. Le pays entier fonctionne sur un mode enthousiaste. C’est ce que semble avoir compris notre nouveau président et nous lui souhaitons de réussir dans cette lourde mission de rendre l’enthousiasme aux Français. Les Américains sont heureux et fiers d’appartenir à un pays dynamique où tout est possible. Peut-être que tout n’y est pas vraiment possible mais c’est un sentiment tellement partagé qu’il démultiplie l’initiative privée.

L’enthousiasme des adultes se répercute dans les écoles. Les enfants sont persuadés qu’une belle vie les attend, dans une société qui leur fera la place dont ils ont besoin. L’école est donc vécue comme le chemin vers l’aventure de la vie adulte. Nous avions la chance de vivre près de Hollywood qui draine tant de gens talentueux. Les parents étaient les bienvenus pour venir témoigner de leur métier. C’est ainsi que mes enfants ont rencontré des musiciens, des dessinateurs de dessins animés, des prestidigitateurs, des coureurs automobiles mais aussi des architectes qui les mettaient en situation de représenter leur espace, des avocats qui leur faisaient jouer des procès entre camarades, des médecins qui les faisaient réfléchir sur les médecines orientales et occidentales, des chercheurs de l’Antarctique qui leur faisaient partager leurs aventures en milieu extrême, etc. Mes enfants sont revenus avec le sentiment que la vie adulte est passionnante et que la vie active est faite de choix multiples. Aux Etats-Unis, on peut rêver n’importe quel métier. On sait aussi qu’on pourra en changer, et radicalement, si on se retrouve dans une impasse. Rien n’est jamais fini.

Cet enthousiasme nourrit une grande confiance en soi. Et celle-ci est renforcée par la valorisation constante des élèves. En France nous avons été élevés avec le sentiment d’être nuls parce que nos enseignants nous faisaient toujours remarquer nos erreurs. Là-bas les professeurs insistent tellement sur leurs qualités que les enfants se sentent forts. Cela ne les rend pas intelligents pour autant me direz-vous, mais cette confiance en soi leur permet d’oser et d’entreprendre, cela augmente leurs chances de réussir.

Au collège, du moins dans celui où nous avions inscrit notre aîné avant de rapatrier la France, les enseignements sont dispensés par de nombreux professionnels. Et les enfants passent des tests sélectifs pour intégrer des sections à enseignement renforcé. Il y a ainsi une section artistique, couvrant la musique, le théâtre et les arts plastiques, une section robotique, une section scientifique et une section classique. Et le cursus « gifted » est toujours en vigueur. Le monde professionnel est très présent dans l’école dès le collège et le professionnalisme aussi, au vu des travaux produits par les élèves. Les élèves, rencontrés lors des inscriptions, disaient tous être maintenus sous une forte pression de travail mais exprimaient aussi leur plaisir d’acquérir tant de connaissances.