24 mars 2007

L'impasse Bayrou

Depuis Janvier, les médias font mousser la candidature de François Bayrou (FB). Sa visibilité accrue à la télé a précédée son ascension fulgurante dans les sondages. Sondeurs et journalistes l’ont promu troisième homme officiel de cette élection présidentielle. Nous sommes en pleine manipulation. Au début de la campagne officielle, beaucoup se laissent persuader qu’il leur faudra choisir entre SR, NS ou FB, que les autres candidats n’ont aucune chance, donc aucun intérêt. Au secours !

Ultime manipulation chiraquienne ?
Il ne serait pas surprenant que l’opération soit pilotée par un Chirac ne pouvant se résoudre à l’élection du traître Sarkozy. Dans la République des Copains, où l’Élysée distribue médailles, subventions et emplois, qui ose croire encore à l’indépendance des médias ? En 2002, ils ont crédibilisé la candidature de Le Pen, en mettant l’accent sur les problèmes d’insécurité. On sait qui en a profité, in fine. En 2007, faire monter la sauce Bayrou est le moyen de barrer la route à Sarkozy, malgré le soutien officiel qu’il faut bien lui apporter. Pour le grand rancunier, la défaite de NS serait le point d’orgue d’une vengeance d’autant plus savoureuse qu’elle se matérialise 12 ans après la trahison balladurienne. Machiavélique en diable, comme d’avoir fait voter contre Giscard en 1981. Chirac, qui n’a cessé de trahir son propre camp, se prépare une sortie de scène jubilatoire.

Paradoxes et imposture
Paradoxalement, c’est en dénonçant l’ostracisme de TF1 à son égard que le candidat de l’UDF a commencé sa percée médiatique. C’est la preuve qu’il maîtrise parfaitement les rouages du système, grâce aux conseils et à l’influence des professionnels des médias que sont Philippe Lapousterle, son éminence grise, Jean-François Kahn et Alain Duhamel, entre autres.

Paradoxalement aussi, c’est en raillant la fausse opposition gauche-droite que FB a finit par faire recette. A l’entendre, c’est la rivalité stérile entre les deux principaux partis politiques qui est à l’origine des graves problèmes de la France. Outre que tout a commencé sous Giscard et que l’UDF a largement participé aux gouvernements de la France depuis 30 ans, quelle imposture vu que les deux partis en question ont pratiqué peu ou prou la même politique, dans les faits, sinon dans les discours.

L’homme du système
FB est le troisième candidat officiel d’une caste, d’une soi-disant élite, qui est responsable du déclin de notre pays. Son programme, par ailleurs difficile à cerner, ne représente en rien une rupture avec les pratiques dirigistes et étatiques qui sont la marque des 30 dernières années. C’est bien beau de vouloir faire travailler ensemble les bonnes volontés de droite et de gauche, mais pour faire quelle politique ? Je ne trouve, dans les discours de FB, pas une once d’intention de réformer fondamentalement le fameux « modèle » français, qui est pourtant en faillite. FB fut l’un des premiers à dénoncer le problème de la dette, mais il critique les propositions faites par certains de ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. On se demande bien comment il entend résoudre le problème sans réduire drastiquement la voilure étatique.

Impuissance
J’ai été abasourdi par son aveu d’impuissance lors d’une émission de télé récente. Interrogé sur la nécessaire réforme de l’Education Nationale, il déclara qu’elle était impossible sans les syndicats. Sachant que les dits syndicats prônent par (mauvais) calcul ou par idéologie, le status quo sur les statuts, les effectifs, les méthodes pédagogiques et la réforme de l’administration centrale, on se dit que ce n’est pas avec Bayrou que l’on parviendra à moderniser le Mammouth. Pas un mot sur la très nécessaire réforme de la représentativité syndicale bien entendu. D’après lui, la question des méthodes de lecture ne relève même pas de l’autorité du ministre. Alors que les dégâts provoqués par les méthodes globales et semi-globales sont avérés, il propose de faire une étude… Que ne dirait-on pas pour plaire à la gauche !

Révolution ?
Comme NS et SR, FB essaye de trouver les mots qui chantent aux oreilles des Français, qui parlent à leurs désirs contradictoires de changement et de continuité (on veut que çà change mais « touche pas à mes avantages acquis »). Il propose une révolution pacifique, mais reste vague sur les objectifs de cette révolution. Or, la révolution qu’il faut faire dans ce pays c’est, à contre-courant de la pratique gouvernementale depuis des décennies, de redéfinir le rôle de l’Etat et de redonner du (bon) sens à la construction européenne.

La première révolution consiste à recentrer l’Etat français sur ses missions régaliennes. Il faut libérer l’économie de la mainmise étatique. Nous avons besoin d’un Etat modeste, économe et efficace. Y’a du boulot ! Le plein emploi, le pouvoir d’achat, l’avenir de nos retraites, tout cela dépend de notre capacité à réorienter notre investissement collectif vers le secteur privé, seul créateur de richesses et donc seul source de progrès social « durable ».

La deuxième révolution concerne l’avenir du projet européen. Après le « non » de 2005, la France est en position idéale pour proposer à ses partenaires, les autres états européens, un retour à deux principes fondateurs :
1) la coopération entre états souverains, plutôt que la fusion dans un super-Etat fédéral européen , et
2) la préférence communautaire, plutôt que le libre-échangisme à sens unique consenti dans les négotiations internationales par les commissaires européens, aux dépends de nos emplois.
L’Etat français doit se réapproprier certains des pouvoirs concédés à la bureaucratie bruxelloise depuis Maastricht, notamment ceux de légiférer, de fixer le taux de la TVA et de contrôler nos frontières pour lutter contre le terrorisme et l’immigration sauvage.

Recherche homme de caractère désespérément
Ces deux révolutions sont le vrai enjeu de cette élection. Soit nous continuons comme aujourd’hui, et nos carottes sont cuites. Soit le peuple Français se réveille et affirme sa volonté de reprendre en main son destin. Il y a peu de chance que la première de ses révolutions se fasse dans une harmonie toute consensuelle : il y aura des tensions, des mouvements sociaux comme on dit (je note que la France est l’un des derniers pays où l’on tolère que les agents du service public dont l’emploi est garanti à vie fassent la grève). La deuxième ne sera pas aisée, comme toute négociation internationale, mais l’Europe ne sortira de l’impasse actuelle qu’avec le concours de la France. Pour les conduire, il nous faut un homme de conviction, quelqu’un qui fixe un cap ambitieux et fasse preuve de détermination et de fermeté dans les épreuves qui ne manqueront pas de se présenter. Je ne discerne rien de tout cela dans le discours ou dans la personnalité de FB.

L’homme Bayrou
FB plait dans les chaumières, enfin dans certaines. Sa physionomie plutôt sympathique, ses origines terriennes, son allocution lente et docte, ses propos modérés en tous points rassurent une partie de nos concitoyens. Pour ma part, je trouve son expression très alambiquée, à la limite du soporifique, et son discours « ni gauche ni droite » absolument lénifiant.

Même si les sondages indiquent que le soutien pour sa candidature est loin d’être définitif, il est indéniable qu’une frange de la population s’enthousiasme pour la candidature de FB. A gauche, il y a ceux que le « royalisme » laisse perplexes, qui peinent à trouver chez SR les qualités requises pour diriger le pays. A droite, il y a les déçus du chiraquisme qui sont allergiques à Sarkozy ou ne lui pardonnent pas les reniements innombrables et l’inaction des gouvernements auxquels il a participé depuis 5 ans. Tous pensent avoir trouvé une alternative très convenable. Mais à quel prix, et surtout, pour quoi faire ?

Le non-choix
Pour plagier le slogan de Giscard de l’époque, voter Bayrou ce n’est pas le bon choix, c’est l’absence de choix, c’est le « non-choix ». C’est la garantie de l’immobilisme, d’un socialisme à peine moins coûteux que celui du PS. C’est la certitude que les décisions courageuses qui s’imposent ne seront pas prises. A mi-chemin entre SR et NS, FB me donne presque envie de voter NS. Heureusement qu’il y a d’autres choix pour le premier tour…