29 avril 2002

La démocratie est-elle en danger ?

Je ne sais pas vous, mais j’ai exulté de joie le 21 Avril en apprenant, avant de me rendre au consulat pour voter, que Jospin ne serait pas au second tour. Enfin une bonne nouvelle en provenance de France, après une campagne inintéressante au point d’en être déprimante. Quelle claque pour le professeur Jospin et sa clique ! Quelle déroute pour Chevènement, baudruche artificielle créée par les grands manipulateurs de l’opinion publique que sont les medias et leurs très soumis organismes de sondage. Et quelle fin de non recevoir pour le Parti Communiste, qui atteint le score qui aurait du être le sien depuis la chute de l’URSS, voire depuis celle de Prague (que ces gens-la osent encore s’appeler communistes me dépasse…). Bref, les Français ont voté massivement a droite (56%) au premier tour, renvoyant à leur idéologie dépassée les champions de la pensée unique, les gourous de la « modernité » et du « progrès » collectiviste. Bon débarras, et qu’ils nous lâchent la grappe une bonne fois pour toute, si vous me permettez l’expression !

Notons que ce n’est pas la première fois que la France rejette le socialisme. En 1993 et 1995 déjà, le message était très clair. Leur retour en grâce en 1997 ne fut que la conséquence de l’exaspération d’une partie des électeurs de Chirac, qui ne s’imaginaient pas qu’il ferait le contraire de la politique pour laquelle il avait été élu. La gauche serait sans doute revenue au pouvoir en 1998, pour les mêmes raisons, si le Président stratège n’avait pas « devancé l’appel »… Au lieu de 4, la France aura donc pris 5 années de retard supplémentaires, merci Monsieur Chirac ! Quoi qu’il en soit, je fus agréablement surpris Dimanche dernier, de voir que la majorité des Français ont de la suite dans les idées, sur le long terme…

Deux candidats de droite au second tour, c’était vraiment inespéré. Pour Chirac en particulier : ma première réaction fut de penser que sa réélection face à Le Pen ne faisait aucun doute, vu le manque de crédibilité de ce dernier, sans parler de son image sulfureuse. Ce Dimanche 21 Avril, avant de prendre connaissance du pronostic des sondeurs, je prédisais un 40-60 en faveur du Président sortant : autant dire, une formalité… Et je me disais que nous pourrions peut être assister à un second tour constructif, pour une fois. En effet, les deux hommes faisant quasiment le même diagnostic et proposant des solutions proches dans le domaine de l’insécurité, de l’économie et de la politique familiale, je me disais que la question primordiale de la construction européenne serait enfin débattue. Je me disais que Chirac réélu serait obligé de prendre en compte le vote anti-Masstricht, qui a quand même atteint près de 25% au premier tour. Je me disais que Chirac saurait lire le message fort envoyé par les électeurs de droite, et qu’en infléchissant légèrement son discours il serait en mesure de couper pour longtemps l’herbe sous les pieds du Front National. Je me disais que Jacques appellerait Jean-Marie au soir du 1er tour, pour lui proposer de mener une campagne du 2eme tour sans agressions en dessous de la ceinture (un match truqué en quelques sortes, pour éviter les coups qui font trop mal…), visant à assurer la victoire de la droite aux législatives, vrai second tour de l’élection présidentielle. Je me disais qu’il sauterait sur l’occasion de mener une recomposition radicale du paysage politique français, assurant 20 ans de suprématie à son camp, la droite, comme Mitterrand le fit en son temps pour la gauche.

Je me disais beaucoup de choses comme vous pouvez le constater… Mais en pensant à tout cela, je savais bien que le Président-candidat s’entêterait très probablement dans son attitude de « rejet » du Front National, attitude dont les raisons m’ont toujours échappé. Je n’ai jamais compris que, depuis 20 ans ou plus, les leaders de la droite tombent aussi facilement dans le piège tendu par la gauche moralisatrice. Manque de caractère, absence de sens stratégique et perte progressive de l’attachement aux valeurs traditionnelles de la droite en sont probablement la cause. En diabolisant Le Pen à la suite des bien-pensants socialo-communistes, les partis de droite traditionnels ont tout simplement capitulé devant l’ennemi. Quelle ironie que ce soit au prétexte de sauver leur âme qu’ils aient, de fait, perdue toute notion de ce qui fait sa spécificité. Tenir pour quantité négligeable, voire mépriser 15% a 20% d’un électorat qui aurait pu voter RPR, DL ou UDF relève à mon sens de l’erreur stratégique grossière. En choisissant comme porte-parole Roselyne Bachelot, grande « supporter » du PACS et de l’adoption homosexuelle, Chirac a pris le risque de se mettre a dos une part non négligeable de l’électorat traditionnel de droite. Mais au fait, ce pourrait-il que Chirac ne soit pas de droite ?

On pourrait s’y méprendre à voir avec quelle rapidité et quel brio il a embrassé le thème de la « défense de la démocratie face à l’extrémisme », montant sur les grands chevaux de la tolérance, du refus du racisme et du fascisme, encourageant les manifestations « spontanées » organisées de mains de maîtres par le PS et les syndicats révolutionnaires. Sans aucun doute conscients d’avoir laissé à d’autres le soin de moissonner dans leurs propres champs, tous les portes parole de la droite accueillaient la victoire du 1er tour avec un air sombre, au lieu de se réjouir ouvertement de la défaite de leurs ennemis. Oubliées du jour au lendemain les critiques contre l’ennemi « républicain » tombé au champ d’honneur du 1er tour. L’objectif, clairement, est de plaire au peuple de gauche. Depuis une semaine, on a presque envie de donner une rose et un feutre noir a l’ancien Président du RPR.

Je ne comprends pas cette stratégie. Chirac était sur d’être élu le 5 Mai. Gauchir son discours, diaboliser Le Pen, forcer la main de l’opinion, notamment en présentant les électeurs ayant voté pour lui comme des mauvais citoyens, voire des simples d’esprit (j’exagère a peine), le conduisent directement dans le mur : si ce n’est a l’occasion du second tour, ce sera aux législatives.

Le Pen peut faire beaucoup plus que de la figuration le 5 Mai. Outre le fait qu’il pose les bonnes questions et « dis tout haut ce que la plupart pensent tout bas » depuis plus de 20 ans, les Français en ont marre qu’on les prenne pour des imbéciles, qu’ils soient de droite, de gauche, ou entre les deux. Parce que matraqué trop fort, le discours unique et sans nuance « Le Pen = fasciste » passe mal. En communication, le contenu du message compte autant que la crédibilité de l’émetteur. La connivence soudaine entre Chirac et la gauche bien-pensante ne peut que déconcerter les électeurs de droite, et les inviter à prendre du recul. Le refus de débattre avec le candidat du second tour, issu on ne peut plus légalement des urnes, donne le sentiment que le Président méprise un électeur sur cinq et en dit long sur son peu de respect pour le principe démocratique lui-même. S’ajoute a cela le fait qu’une grande partie de l’électorat a des doutes sérieux sur l’honnêteté de l’homme. Malgré les appels unanimes au vote anti-Le Pen, qui peut dire si le « peuple de gauche » se résoudra à voter pour l’ennemi juré d’hier, qu’il regarde comme l’escroc de la Mairie de Paris et des HLM des Hauts de Seine ? Combien d’entre eux, ne pouvant se résoudre a voter Super Menteur, voteront blanc ou nul ?

Admettons que Chirac soit réélu le 5 Mai, grâce notamment aux votes des Français de gauche. La tentation sera grande pour nos concitoyens mobilisés « contre le fascisme » mais écœurés d’avoir accordé 5 années d’immunité présidentielle supplémentaires à Jacques Chirac, de compenser aux législatives par un vote massif en faveur du Parti Socialiste, des Verts, du MDC ou des partis d’extrême gauche. Nous revoilà repartis pour plusieurs années de cohabitation. Autant dire, une catastrophe. L’immobilisme total institué en système politique à long terme, en attendant que les fonctionnaires européens prennent les choses totalement en main. Ce serait l’abandon de tout projet de retour en France en ce qui me concerne…

Alors, que faire ? Pour ma part, je ne vais pas voter Le Pen. Je ne crois pas qu’il soit crédible comme chef d’état. Je sais peu de choses du Front National, mais je doute que nous ayons affaire à un parti de gouvernement. Il y a de bonnes choses dans leur programme qu’on ne trouve pas dans celui de Chirac : le recours au referendum pour valider les grands projets de réforme, le contrôle de l’immigration, la dénonciation des accords de Schengen et de Maastricht, la résurrection du Franc pour revenir a une monnaie européenne commune, mais pas unique, etc. Il y en a d’autres carrément moins bonnes, comme la création de camps pour les immigrés en situation irrégulière, la préférence nationale, le rétablissement de la peine de mort, le protectionnisme, etc. Ce programme contradictoire ne semble pas tenir la route financièrement et sera sans doute impossible à mettre en œuvre de toute façon. Enfin, sans m’abandonner au délire collectif de ces derniers jours, je suis peu enclin à donner ma voix à un parti qui s’est formé, dans les années 70, a partir d’une mouvance d’extrême droite pure et dure.

Je vais donc voter Chirac Dimanche prochain. Sans conviction mais avec l’espoir que le Président de la République saura mieux s’entourer et aura la sagesse de tirer les enseignements de son septennat raté et de cette élection bizarre. En croisant les doigts pour qu’il ne saborde pas le navire une nouvelle fois et qu’il ne ressorte pas le Juppé de son placard bordelais. En espérant qu’il aura la bonne idée de faire appel, pour reformer la France rapidement et en profondeur, à un représentant de la société civile ayant les pieds sur terre et de réels talents de leader, comme Christian Blanc (mais il y en a d’autres).

Pour finir, je voudrais répondre à la question provocatrice posée en titre : je crois en effet que la démocratie est en danger. Non pas parce que 20% des électeurs ont voté pour ce qu’il est convenu d’appeler l’extrême droite. Mais parce que certains, qui ne partagent pas les mêmes idées, contestent la légitimité de ce vote et utilisent des moyens de pression anti-démocratiques pour imposer leurs vues. Parce que les medias français matraquent les mantras de la pensée unique et pratiquent un terrorisme intellectuel digne des pires régimes totalitaires. Parce que plusieurs candidats à l’élection présidentielle ont annoncé sans sourciller grève générale et « troisième tour social » au cas ou la balance ne pencheraient pas en leur faveur.

La démocratie est en danger donc. A nous de la défendre en votant le 5 Mai et au mois de Juin, pour ceux qui ont un député a élire, ce qui n’est pas le cas des Français résidant a l’étranger. En ce qui me concerne, je vais réfléchir aux moyens de participer a l’émergence d’une nouvelle représentation politique, fondée sur des valeurs claires : honnêteté, liberté d’initiative, sens du service, responsabilité, respect de la personne humaine, cohésion de la nation.

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